Jamais seul

jeudi 01 juillet
et bien davantage

« Lire n’a jamais été une activité solitaire, pas même quand on la pratique seul, dans l’intimité de son foyer. C’est un acte collectif qui nous rapproche d’autres pensées et ne cesse d’affirmer la possibilité d’une compréhension indifférente à l’obstacle des siècles et des frontières. Empruntant le chemin du plaisir, au-dessus de l’abîme des différences, la lecture offre des ponts suspendus faits de mots.

Le psychologue Raymond Mar et son équipe de l’Université de Toronto ont démontré en 2006 que les personnes qui lisent sont plus empathiques que les autres, en particulier celles qui fréquentent les oeuvres littéraires. Un groupe d’étudiants devait choisir entre deux enveloppes : l’une contenait La Dame au petit chien, de Tchekhov ; l’autre, un texte qui décrivait exactement la même histoire, mais dans une langue neutre, froide, quasi journalistique, sans les inflexions propres au vieux métier de la narration. Ceux qui ont lu les mots de Tchekhov ont obtenu les meilleures notes au barème de l’empathie, surtout ceux que la nouvelle avait le plus émus. Le pouvoir de se mettre à la place de l’autre et de plonger dans d’autres profondeurs enrichit notre intimité, mais aussi notre vie privée, notre quotidien, les aptitudes sociales dont nous faisons preuve.

Le fait de lire ne nous rend pas nécessairement meilleurs, mais nous apprend à observer avec l’oeil de l’esprit l’étendue du monde et l’immense variété de situations et d’êtres qui le peuplent. »

Irène Vallejo, L’Infini dans un roseau (à paraître aux Belles Lettres, en septembre)